L’hypothèque légale de la construction contre un immeuble d’Hydro-Québec…
En 2004, la Société d'énergie de la Baie James accorde à l'entrepreneur général HMI-Promex S.E.N.C. (ci-après appelé HMI) un contrat pour réaliser des travaux de fourniture et d'installation de l'appareillage et des systèmes électriques et mécaniques de la Centrale Eastmain-1. Dans le cadre d'un contrat de sous-traitance, HMI confie la réalisation d'une partie de ces travaux à la compagnie Construction Kay-Bek Inn (ci-après appelé Kay-Bek).
Par la suite, le 9 mars 2007, Kay-Bek fait publier un avis d'hypothèque légale de la construction sur les biens suivants : « immeubles situés au Camp Eastmain composés des bureaux administratifs, des unités de logement, des unités d'activités sportives et autres loisirs », immeubles qui appartiennent à Hydro-Québec.
Par le biais d'une requête en Cour supérieure, HMI demande la radiation de l'hypothèque en invoquant notamment que les biens visés n'ont pas fait l'objet des travaux, qu'ils ne constituent pas des immeubles et que même en tenant pour acquis qu'il s'agit d'immeubles, ces derniers appartiennent à l'État et sont dès lors insaisissables.
En août 2007, le juge de la Cour supérieure rejette la requête en radiation d'hypothèque déposée par HMI pour les motifs ci-après exposés [1]. Tout d'abord, le juge de la Cour supérieure décide que le Campement fait partie de la même unité d'exploitation que la Centrale puisque nécessaire à sa construction et il est aussi d'avis que ces biens sont des immeubles.
Le juge reconnaît également que généralement, les biens appartenant à l'État et ses mandataires sont insaisissables. Cependant, il conclut que l'article 3.1.2 de la Loi sur Hydro-Québec prévoit que l'exécution des obligations d'Hydro-Québec peut être poursuivie sur les biens qu'elle possède, même si ceux-ci sont la propriété de l'État et qu'ils ne sont pas affectés à l'utilité publique (puisque selon le juge, ce bâtiment servait à loger les travailleurs oeuvrant à la Centrale), ils ne sont pas visés par l'articles 916 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel édicte que : […] nul ne peut non plus s'approprier les biens des personnes morales de droit public qui sont affectés à l'utilité publique. Pour le juge, ces biens ne peuvent être qualifiés d'utilité publique et, par conséquent, ils sont susceptibles d'être grevés d'une hypothèque légale et sont donc saisissables.
Cour d'appel
Tout récemment, la Cour d'appel a infirmé (renversé) la décision de la Cour supérieure et ordonné la radiation de l'hypothèque légale [2]. Selon elle, le juge de première instance a erré en décidant que les biens visés par l'hypothèque légale étaient saisissables.
Premièrement, les juges de la Cour d'appel mentionnent que le critère de « l'affectation à l'utilité publique », qu'on retrouve à l'article 916 du C.c.Q., n'est pas pertinent en l'espèce. Selon eux, même si Hydro-Québec est une personne morale de droit public, l'article 3.1.2 de sa loi constitutive déclare expressément que les biens en sa possession sont ceux du domaine de l'État. Les juges ajoutent qu'en tant que mandataire de l'État, Hydro-Québec jouit des mêmes privilèges.
La cour exprime que « les privilèges dont jouit l'État quant à sa propriété s'appliquent à tous ses biens puisque la distinction entre le domaine public et le domaine privé de l'État n'est pas reconnue dans notre droit. C'est pour ce motif que l'on ne peut distinguer parmi les biens d'Hydro-Québec ceux qui seraient affectés à l'utilité publique et ceux qui ne le seraient pas. Puisque les biens d'Hydro-Québec sont des biens de l'État, ils ne peuvent être sujets à une telle distinction ». Ainsi, la cour délaisse l'ancienne méthode qui consistait à déterminer si l'immeuble était ou non un bien d'utilité publique.
Par ailleurs, la cour revient sur la décision du juge de la Cour supérieure concernant l'application qui doit être faite de l'article 3.1.2 de la Loi sur Hydro-Québec qui prévoit que l'exécution des obligations d'Hydro-Québec peut être poursuivie sur les biens qu'elle possède. Selon les juges, cet article ne s'applique pas ici, puisqu'il ne s'agit pas d'une obligation qu'aurait assumée Hydro-Québec envers Kay-Bec. En effet, le contrat de sous-traitance a été conclu entre HMI et Kay-Bec, et comme Hydro-Québec n'a pas assumé de payer les travaux faits par Kay-Bec, elle n'a aucune obligation envers elle.
Conclusion
Il n'y a pas si longtemps, afin de garantir le paiement de sa créance, il était possible à un entrepreneur en construction de grever le bien d'un organisme public d'une hypothèque légale de la construction. Pour qu'une telle hypothèque soit valide, il fallait, à l'aide d'un examen des faits, déterminer si l'immeuble était un bien d'utilité publique ou non. Il semble que cette façon de faire soit maintenant chose du passé ! En effet, la Cour d'appel a délaissé cette ancienne qualification « d'utilité publique » et a décidé que les biens d'Hydro-Québec sont insaisissables.
Par ailleurs, comme la Cour suprême a rejeté, le 3 juillet 2008, la demande d'autorisation d'appel du jugement de la Cour d'appel, il faut conclure que ce jugement a un impact immédiat, puisqu'il ne sera plus possible de publier une hypothèque légale de la construction sur l'ensemble des biens d'Hydro-Québec, que ceux-ci soient d'utilité publique ou non.
En terminant, qu'arrivera-t-il si le titulaire de l'hypothèque légale de construction contracte directement avec Hydro-Québec ? Pour le savoir, il faudra surveiller attentivement l'interprétation que donneront les prochains jugements des tribunaux sur la question !
À suivre…
Cet article est un instrument d'information et de vulgarisation. Son contenu ne saurait en aucune façon être interprété comme étant un exposé complet du droit ni comme un avis juridique émis par la CMEQ ou ses représentants sur les points de droit ou autres qui y sont discutés.
[1] HMI-Promec, s.e.n.c. c. 2954-4095 Québec inc. (Construction Kay-Bek Inn) 2007 QCCS 6616
[2] HMI-Promec, s.e.n.c. c. 2954-4095 Québec inc. (Construction Kay-Bek Inn) 2007 QCCA 1818
Cette page répond-elle à vos besoins?