Des spécialistes du BIM partagent leur expérience... - Mars 2016 - 3

Par Direction des communications, de la formation et des partenariats Publié le

Pour documenter ce dossier sur l’approche BIM, nous avons interviewé des entrepreneurs qui ont intégré à divers degrés ce processus encore nouveau pour les entreprises spécialisées.

Voyons d'abord ce que les spécialistes du département de dessin de la Cie d'électricité Britton ltée, MM. Claude Labbée et Olivier Manningham avaient à nous raconter. Notons qu'ils étaient en charge du premier projet BIM et de monter l'équipe à y travailler.

L’intégration de l'approche BIM, propre à chaque entreprise

L'entreprise a effectué le virage il y a deux ans, alors qu'un projet pour lequel elle désirait soumissionner, le centre de technologies de l'information et de la communication d'Ericsson à Vaudreuil-Dorion (ICT), exigeait des contractants qu'ils travaillent avec l'approche BIM. Ce n'est donc qu'environ 6 mois avant le début des travaux, une fois le contrat obtenu, que l'entreprise a commencé à s'équiper d'un parc informatique assez puissant et s'est dotée d'une équipe compétente en formant ses gens et en recrutant de nouveaux dessinateurs pour être en mesure d'effectuer de la conception BIM.

L'une des difficultés rencontrées d'emblée, c'est que le bassin de personnes compétentes n'est pas vaste. « Les dessinateurs BIM ne courent pas les rues, et ceux qu'on trouve sortent de l'école. Ils sont débutants et manquent d'expérience sur le terrain... », note M. Labbée.

S'étendant sur une superficie équivalant à 6 terrains de football, le projet de l'ICT représentait un défi de taille, puisqu'il devait être terminé en 18 mois. Pour combler les besoins du projet, l'entreprise a doublé le nombre d'employés initial de l'équipe de dessinateurs. De 5 à 6 modélisateurs y ont travaillé.

À ses débuts, l'équipe était encore trop jeune pour être autonome. Les modélisateurs devaient référer davantage aux contremaîtres pour savoir de quelle manière serait installé l'appareillage au final. Le personnel plus expérimenté pouvait alors dessiner sur papier les grandes lignes du projet afin que les modélisateurs l'intègrent en 3D. C'est ainsi que tranquillement, les nouveaux venus ont acquis des notions d'électricité et sont devenus de meilleurs concepteurs.

La transition de l'ancienne façon de faire à la nouvelle technologie

Les premiers pas sont inquiétants, comme pour toute nouveauté. « Quand ça fait 25 ans que tu travailles d'une certaine façon, c'est insécurisant de changer... Mais on est rapidement convaincu qu'il s'agit de la technologie de l'avenir! », affirme M. Labbée.

Selon MM. Labbée et Manningham, ce sont les contremaîtres qui auront davantage à changer leur façon de travailler. Auparavant, avec les plans des ingénieurs, ils avaient beaucoup plus de latitude et pouvaient prendre certaines initiatives. Avec l'approche BIM, il est impératif qu'ils suivent la maquette. Ils doivent la respecter et travailler en étroite collaboration avec les concepteurs afin que l'information soit le plus à jour possible.

On apprend donc au fil des travaux et des projets, et ce, de part et d'autre. Mais la courbe d'apprentissage est plutôt rapide. Au bout de six mois, le chemin accompli est énorme!

De quoi a-t-on besoin au niveau du parc informatique?

L'utilisation de l'approche BIM peut requérir des ordinateurs plus puissants, nécessaires pour assurer la fluidité des mouvements de la maquette en 3D. Dépendant de la complexité du modèle 3D, la taille du fichier peut gonfler rapidement. D'un autre côté, la tablette est un outil essentiel pour la visualisation de la maquette à l'extérieur du bureau ou sur le chantier en complément pour permettre aux installateurs de bien saisir le travail à accomplir.

Les logiciels utilisés

On parle beaucoup de Revit® d'Autodesk1 pour la modélisation BIM. C'est ce qu'ont utilisé les concepteurs en électricité pour l'ITC de Vaudreuil; les autres disciplines ont quant à elles utilisé d'autres plateformes. Son utilité première était la coordination entre les spécialistes qui travaillaient sur le projet et la détection de conflits interdisciplinaires.

En fait, ce logiciel est un outil de conception qui permet de concevoir des volumes auxquels on assigne des informations telles que les spécifications de l'équipement fournies par les manufacturiers. Au début d'un projet, les volumes sont estimés approximativement, puis plus le projet avance, plus les données se précisent, selon les fabricants choisis en cours de route, par exemple. Et plus on acquiert d'expérience en utilisant ce dernier, plus on en utilise des fonctions élargies. Navisworks® d'Autodesk est également utilisé pour la visualisation, la détection de conflits et la coordination interdisciplinaire.

La courbe d'apprentissage est plutôt rapide. Au bout de six mois, le chemin accompli est énorme!

La maquette 3D peut être liée à Microsoft Projects pour la planification du projet. Autocad MEP, qui est surtout utilisé pour la mécanique du bâtiment, peut aussi être intégré dans les maquettes 3D. Il faut voir, évaluer ses besoins!

Fait important et intéressant à savoir : si les différents spécialistes n'utilisent pas tous le même logiciel, ces derniers seront quand même en mesure de communiquer sur une même maquette. Cela ne sera peut-être pas aussi efficace, mais ça se fait. Les uns s'intègrent aux autres. Le plus simple et l'idéal est toutefois que tous utilisent le même.

Quelles formations sont de mise?

La formation qui a d'abord été nécessaire chez Britton concernait le logiciel utilisé pour la modélisation des données du bâtiment.

Les distributeurs de produits Autodesk sont équipés pour assister les entreprises dans l'implantation de l'approche BIM. Ils offrent de la formation, ils peuvent louer du personnel pour la modélisation et il est possible d'engager leurs coachs qui viennent encadrer le travail des entreprises.

Même certains concurrents plus expérimentés peuvent vous conseiller! Il suffit parfois de demander... « Un projet BIM est avant tout une histoire de collaboration. [...] pour arriver à de meilleurs résultats pour le client. »2, expliquait à La Presse M. Pierre Pomerleau, partenaire de la chaire de recherche de l'ETS qui existe depuis 2013 et porte son nom. On comprend pourquoi il a accepté de se lancer dans ce projet de recherche qui ferait également profiter ses concurrents, lorsqu'on sait qu'un rayonnement de son entreprise en a rapidement découlé au Québec et à l'extérieur.

Aussi, si on a des contacts en architecture, il peut être intéressant de leur demander conseil. Les architectes ont été les premiers à utiliser le BIM; cela leur donne des avantages tangibles, surtout au niveau du vécu, de l'expérience. Beaucoup d'information est disponible sur le Web également. Il faut prendre le meilleur des deux mondes : confirmer les idées trouvées sur Internet auprès d'un mentor!

Pour être dans le coup, il pourrait suffire de s'équiper d'une tablette électronique.

En termes d'investissements...

Tout dépendra des moyens de l'entreprise! Si l'on souhaite obtenir du coaching par l'intermédiaire d'entreprises privées spécialisées, c'est possible. Il faut alors compter de 100 $ à 125 $ par heure. Si l'on doit s'équiper en ordinateurs, de tablettes électroniques et de logiciels, recruter de nouveaux employés, les former, etc., l'investissement peut croître rapidement! Par exemple, une grande entreprise pourrait avoir à investir entre 150 et 200 M$ durant la première année.

Selon MM. Labbée et Cunningham, pour les petites entreprises, s'équiper pour faire de la conception BIM sera peut-être plus problématique, vu le coût plutôt élevé. Toutefois, pour être dans le coup, selon eux, il pourrait suffire de s'équiper d'une tablette électronique ou d'autres outils de visualisation afin d'être en mesure de consulter le modèle, puis procéder à l'installation seulement. Dans ce cas, il s'agirait de confier la conception 3D à un sous-contractant.

Concrètement, ça donne quoi?

Chez Britton, l'implantation de l'approche BIM a nécessité que l'équipe de dessinateurs (modélisateurs) soit triplée; de 3 employés, ils sont passés à 9. C'est qu'en fait, la charge de travail est déplacée en début de projet, au moment de la conception; la coordination se fait en virtuel, avant que la moindre installation de matériel ne soit faite.

Pour le projet de l'ITC de Vaudreuil, par exemple, on a investi 2 à 3 fois le nombre d'heures pour la conception par rapport au même projet si on n'avait pas utilisé l'approche BIM. Mais on a récupéré cet investissement sur le chantier. Concrètement, 7 000 à 8 000 heures ont été travaillées par les modélisateurs, mais on a gagné autour de 25 000 heures en chantier.

Il faut savoir qu'il est possible d'utiliser l'approche BIM même si tous les spécialistes n'ont pas encore emboîté le pas. Les systèmes sont alors conçus en 2D par l'ingénieur, puis une firme externe peut reproduire le tout en BIM. Ce fut le cas pour les systèmes de gicleurs, la ventilation et la plomberie de l'ITC, par exemple.

Dans un projet typique, l'architecte et l'ingénieur en structure décident des grandes lignes du bâtiment et débutent la modélisation. Dans un deuxième temps, les autres disciplines créent alors leurs propres maquettes, qui sont ensuite superposées aux maquettes d'architecture et de structure.

Durant les premières réunions de coordination, on détermine les grandes lignes du projet. On dictera entres autres à quelles hauteurs se trouveront les différents systèmes. C'est le moment où il est avisé de déterminer aussi la façon dont seront identifiées et réalisées les révisions de la maquette. « On avait l'habitude d'identifier les modifications en traçant un nuage autour, en 2D. Avec le BIM, on doit trouver d'autres façons de faire. », note M. Manningham.

Chacun repart ensuite de son côté, et le travail se fait en parallèle. On se revoit après pour des ajustements. Ces derniers sont plus faciles grâce au BIM. La visualisation en 3D facilite la compréhension de la volumétrie du bâtiment et de la complexité des systèmes. Ainsi, on peut concentrer les efforts aux endroits névralgiques.

Pour les grands projets dessinés par les firmes, la coordination des salles électriques est souvent confiée à l'entrepreneur électricien. Il y a toutefois encore une certaine réticence à partager les maquettes, ce qui mène à la duplication du travail. On a pourtant tous avantage, en bout de ligne, à travailler sur un modèle unique; cela permet de gagner du temps et augmente la rentabilité globale du projet.

Comment ça se passe sur le terrain?

L'approche BIM permet la coordination dans l'espace, mais aussi d'y intégrer la coordination dans le temps.

Elle peut également amener l'idée du travail à la chaîne et introduire le préfabriqué, étant donné qu'on connaît exactement les volumes et les quantités de matériaux requises. Le nombre connu de coudes nécessaires sur les 65 km de conduits du centre de données de Vaudreuil, par exemple, a permis de procéder d'avance au pliage d'une bonne partie de ceux-ci.

L’exploitation du bâtiment avec le BIM

En outre, c'est une acquisition que peut faire le client, dont il peut se servir pour l'exploitation et l'entretien du bâtiment par la suite, pourvu qu'il se procure l'équipement informatique nécessaire et qu'il dispose du personnel qualifié pour le faire. C'est un élément qu'on tente de vendre aux clients.

Toutefois, dans le cas de l'ITC de Vaudreuil, comme cela n'avait pas été envisagé dès le début du projet, il y a certains manquements quant au niveau de détails assignés aux volumes du modèle. Des mises à jour doivent donc être faites rétroactivement.

En principe, selon les spécialistes de Britton, le mieux à faire serait de déterminer précisément le niveau de détail souhaité dès les premiers jets. Il est préférable d'avoir trop d'information au départ et d'en ôter par la suite, plutôt que l'inverse. Aussi, lorsqu'on décide d'un niveau de précision des détails, on peut toujours, pour un « coin » plus complexe du projet, augmenter ce degré de précision pour éviter les conflits.

Or, cela démontre également qu'il est possible d'intégrer le BIM à un bâtiment existant.

De son côté, le géant des télécommunications Ericsson, le client pour l'ITC de Vaudreuil, estime qu'en tout et partout, la combinaison de l'architecture, de la conception et de l'emplacement de ses trois centres construits durant les dernières années réduira de 40 % sa consommation d'énergie.3

Le BIM amène à changer la façon de faire et de voir les choses...

 

Références

1. www.autodesk.fr/solutions/building-information-modeling/overview

2. Martine Letarte, « Le pari de la chaire de recherche , affaires.LaPresse.ca, 9 février 2016

3. Marie-Eve Rochefort, « Ericsson dans Vaudreuil-Dorion: un chantier impressionnant! », INFOsuroit.com, 18 septembre 2014

 

Article basé sur une entrevue réalisée auprès de MM. Claude Labbée et Olivier Manningham, tous deux du département de dessin de la Cie électrique Britton ltée.

M. Claude Labbée, travaille chez Britton depuis 1999. De dessinateur / Concepteur en électricité du bâtiment avec spécialisation en éclairage, il est passé directeur du département de dessin en 2014, poste qu'il occupe depuis.

M. Olivier Mannigham travaille depuis 4 ans chez Britton. Il y a fait ses débuts tout de suite à la sortie de la formation qu'il a suivie en dessin du bâtiment. Durant les deux premières années, il travaillait en 2D, avec Autocad®. Puis, il a commencé à intégrer graduellement l'approche BIM. Cette tâche occupait alors la moitié de son temps, tandis qu'il continuait de travailler aussi en 2D. Il est maintenant intégrateur BIM.

 

Article publié dans Électricité Québec, volume 63, No 2, mars 2016

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